Le lauréat du prix de l’ATEM 2022

Alexandre NUSSBAUMER a été élu lauréat du prix de l’ATEM 2022, son travail porte sur l’identité chrétienne à la lumière du travail du théologien américain Stanley Hauerwas. 

En voici un aperçu :

Donner forme à la vie chrétienne,

Éclairages à partir de l’œuvre de Stanley Hauerwas

 

Un théologien dans son temps

Débuter un livre du théologien moraliste Stanley Hauerwas, c’est s’engager à une rencontre. « Le “Soi” désigne non pas une chose mais une relation. Je ne sais qui je suis qu’en relation avec d’autres, et, de fait, ce que je suis est une relation avec d’autres[1]. »

C’est aussi s’aventurer dans un voyage inattendu. Qui aime le prévisible et les certitudes s’abstiendra. Qui est prêt à se laisser bousculer poursuivra. Les livres d’Hauerwas sont écrits comme son écrites nos vies ou notre monde, de manière surprenante et occasionnelle. Précisons ici ce qu’Hauerwas entend par occasionnel :

Le terme d’ « occasionnel » doit être préféré au terme plus courant de « contextuel ». Parler de la théologie comme de quelque chose de « contextuel » suggère volontiers que les contextes sont donnés, transparents et évidents en eux-mêmes pour ceux qui agissent au sein de ces contextes et qu’il n’y a pas besoin d’une théologie pour les élucider.[…] La théologie a la responsabilité de donner une lecture théologique de ces occasions. Elle doit apprendre à interpréter sa situation présente non pas simplement comme un ensemble de normes culturelles ou de contraintes et d’opportunités, mais comme un épisode de l’histoire de la rencontre entre l’Évangile et l’humanité[2].

Selon ses dires mêmes, Stanley Hauerwas n’a jamais cherché à devenir Stanley Hauerwas, mais des « occasions » ont émergé lui permettant de devenir cette voix prophétique reconnue tant dans les milieux profanes qu’académiques[3]. Les grandes questions sociétales des États-Unis à la fin des années 1960 — droits civils, sexualité, guerre — lui donne un terrain d’expression. Des rencontres décisives l’aident à formuler sa propre pensée : le catholique Alasdair MacIntyre pour la philosophie et le mennonite John Howard Yoder pour la théologie. A son contact, Hauerwas devient un théologien de l’Église, pacifiste, « convaincu que la non-violence et le christianisme sont inséparables[4]. »

 

Donner forme à la vie chrétienne

Ce que reproche Hauerwas aux traditions chrétiennes dominantes, tant catholique que protestante, c’est de donner vie à des Églises accommodées au libéralisme politique nord-américain, de faire émerger des vies chrétiennes peu distinctes de la vie de bons citoyens américains. Que l’Église soit donc l’Église ! Pour Hauerwas, cela passe par une théologie et une éthique de l’action :

  1. Une vie d’Église qui redonne de la place au but. Le but, c’est la vie qui témoigne de l’action de Dieu, la vie qui adore Dieu.
  2. Une vie d’Église qui redonne de la place au sujet. Le sujet, c’est ici la communauté qui prime sur l’individu. En rassemblant les individus, la communauté est une communauté de discipulat qui apprend la vie de disciple. La dynamique de cet apprentissage est interne – externe au travers des concepts clés : incorporation, mise en acte, performance[5].
  3. Une vie d’Église qui redonne de la place à l’espace-temps. La communauté est une communauté narrative, qui apprend à raconter la tension qui la traverse entre la promesse de Dieu et son échec à se réaliser, entre la volonté de Dieu et la liberté humaine. Les ministères, la liturgie, les gestes forment le caractère de la communauté.

Son éthique du caractère et des vertus propose un stimulant chemin de vie chrétienne.

 

[1] Stanley Hauerwas, Le Royaume de paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, trad. fr. de Pascale-Dominique Nau, Paris, Bayard, 2006, p. 178.

[2] Voir John Webster, Word and Church : Essays in Christian Dogmatics, Londres, Bloomsbury T & T Clark, 2016, p. 4-5. Nous empruntons la traduction à Marc Fassier, L’Église comme communauté narrative en contexte pluraliste. Clé épistémologique de la théologie de Stanley Hauerwas, thèse de doctorat, Université Laval, Québec, Canada, 2019,
p. 32.

[3] En 2001, à 61 ans, Hauerwas connaît une reconnaissance académique majeure. Au printemps, il participe aux « Gifford Lectures » à l’université Saint Andrew en Écosse où l’ont précédé des chercheurs réputés tels William James, John Dewey, Reinhold Niebuhr, Karl Barth ou encore Paul Tillich. Le 17 Septembre 2001, le magazine Time le mentionne comme « meilleur théologien américain ». Time, 17 septembre 2001, vol. 158, n. 11. Le lecteur de langue française pourra consulter trois traductions de ses ouvrages : Le Royaume de paix, Étrangers dans la cité et l’Amérique, Dieu et la guerre au milieu d’un corpus de plus de 25 livres.

[4] Stanley Hauerwas, Hannah’s Child. A Theologian’s Memoir, Grand Rapids, Eerdmans, 2010, p. 72.

[5] En anglais, embodiment ; enactment ; performance.